Des femmes congolaises et particulièrement celles du Sud-Kivu se lancent souvent dans la course électorale au même titre que les hommes. Lors des élections de 2018, la commission électorale nationale indépendante, CENI, a enregistrée 68 candidates femmes contre 888 hommes pour 32 sièges à la députation nationale. Alors qu’à la députation provinciale, le Sud-Kivu a enregistré 117 femmes candidates contre 1.138 hommes candidats pour 44 sièges, mais seulement 3 sont passées comme députées provinciales.
Dans cette lutte, nombreuses femmes malgré leur courage et compétence n’arrivent pas à gagner les élections. La plupart des candidates se sont heurtées à des difficultés liées aux préjugés en ville tout comme dans les différents territoires de la province. C’est le cas de Munyerenkana Adeline, candidate sur la liste du parti politique Avenir du Congo, ACCO, dans la circonscription électorale de la ville de Bukavu.
« Lors des élections de 2018, j’étais enceinte. Pendant la campagne, mes prédateurs se sont donné le courage de diffuser les messages que j’étais fragile. Je ne pouvais rien faire et que même j’étais morte. Malheureusement, certains médias ont même laissé passer ces messages », regrette Adeline.
Et de poursuivre.
« Nous avons tous battu campagne ensemble mais les défis que j’ai rencontrés en tant que femme n’ont pas été les mêmes avec mes collègues hommes. Il y’a des lieux où j’allais battre campagne mais certains leaders communautaires ou religieux manifestaient des résistances suite aux coutumes. J’avais perdu les élections malgré mes efforts », explique-t-elle.
Même constat pour Venantie Bisimwa, qui avait perdu aussi les élections de 2018 dans le territoire de Walungu. Elle soulève le problème de la communauté qui hésite à se ranger derrière les textes promouvant les droits des femmes en persistant dans les coutumes rétrogrades qui réduisent même les efforts des femmes candidates lors des élections.
« Certains hommes résistent à comprendre le sens de l’égalité des chances. Je suivais pendant la campagne, certains me dire que je devais rester dans le monde associatif plutôt que d’emboîter le chemin des hommes, la politique. Parfois, ça décourage. Notre communauté pense que plus on avance en politique, plus on perd nos valeurs morales », déplore Venantie Bisimwa, avec un visage renfrogné.
Le mouvement Caucus des Femmes qui accompagne depuis 2006 les femmes qui manifestent l’intention de se représenter au pouvoir, affirme avoir suivi des messages de dénigrement à l’égard des femmes candidates dans les communautés et sur certains médias qui n’ont pas été sensibilisés sur l’importance de promouvoir les droits des femmes.
« Nous sommes reconnaissants des efforts des femmes candidates aux élections passées malgré les barrières qu’elles ont rencontrées. Moi-même, j’étais touché négativement par des débats politiques où parfois les messages rabaissant les efforts des femmes candidates étaient régulièrement diffusés et ce qui auraient joué sur l’échec des candidates. Certains sont parvenus même à dire que nous les femmes, sommes peureuses et nous ne devrions pas diriger, nous aimons la facilité, juste pour nous dénigrer », fait entendre Solange Lwashiga, Secrétaire exécutive de Caucus des femmes du Sud-Kivu.
Cette organisation de promotion des droits des femmes recommande aux femmes qui ont des ambitions pour les prochaines élections à commencer bien avant et à se liguer à d’autres femmes pour le partage des expériences malgré ces défis qui persistent.
« J’ai suivi deux jours avant les élections, certains hommes dans leurs malignité dire que telle femme a désisté, donnez-moi ses voix, je suis compétent. Pourtant, la loi électorale à son article 13 démontre la volonté de voir la représentation des femmes. 2023 ce n’est plus loin, que les femmes reprennent courage », renchérit Gaudens Maheshe, secrétaire exécutif provincial de la CENI.
Gaudens Maheshe dit avoir tenu lors des récentes élections, plusieurs séances de formations à l’intention des femmes candidates pour les expliquer les dispositions de la loi électorale et comment battre campagne dans le respect des dispositions de la loi et code d’éthique pour les candidats.
Le rapport de la centrale de monitoring de l’Union nationale de la presse du Congo, UNPC, section du Sud-Kivu en rapport avec la couverture médiatique des élections de 2018 en province note des dérapages de certains médias du territoire de Mwenga, Uvira, Idjwi et de la ville de Bukavu qui accordaient la parole aux invités ou promoteurs de ces médias et qui lançaient les messages de dénigrement des femmes candidates.
« À Mwenga nous avions suivi des chaînes qui diffusaient à mainte reprise le message disant que : la femme ne peut pas être un roi. Même cas sur l’île d’Idjwi, où on suivait dans les chaînes certains politiciens en quête des électeurs dire : ce n’est pas facile d’être dirigé par une femme », peut-on lire dans ce rapport.
Me Déodatte Bisomerine, avocate au barreau du Sud-Kivu explique que le code pénal congolais condamne la diffamation ou divulgation des messages qui portent atteinte à la dignité des personnes.
« La diffusion publique des préjugés, des injures ou dénigrement peuvent être classés comme imputation dommageable et sont réprimés aux articles 74, 75 et 77 du code pénal congolais et cette disposition n’épargne personne. Une fois dans l’infraction, l’incriminer doit répondre de ses actes conformément à la loi » indique Me Déodatte.
Patrick MAKIRO
Cet article a été produit en collaboration avec Journalistes pour les droits humains, JDH/JHR avec l’appui d’Affaires mondiales Canada