Le prix Nobel de la paix a été attribué ce vendredi 8 octobre à deux journalistes, la Philippine Maria Ressa et le Russe Dimitri Muratov. Le comité Nobel norvégien a salué « leur combat courageux pour la liberté d’expression » dans leurs pays respectifs.
La présidente du comité Nobel, Berit Reiss-Andersen, à Oslo a déclaré que Maria Ressa et Dimitri Muratov étaient « les représentants de tous les journalistes qui défendent cet idéal dans un monde où la démocratie et la liberté de la presse sont confrontées à des conditions de plus en plus défavorables ».
Une liberté payée au prix fort en Russie
Âgé de 59 ans, Dimitri Muratov est l’un des fondateurs et rédacteur en chef du journal russe Novaïa Gazeta. Il ne s’y attendait pas et n’a pas décroché son téléphone quand il a reçu un appel de Norvège, rapporte la correspondante de RFI à Moscou, Anissa El Jabri.
Le journaliste « a depuis des décennies défendu la liberté d’expression en Russie dans des conditions de plus en plus difficiles », a souligné le jury.
Le quotidien a notamment mis en lumière « la corruption, les violences policières, les arrestations illégales, la fraude électorale et les “fermes de trolls” ».
Et l’a souvent payé au prix fort, a souligné le comité : six de ses journalistes ont perdu la vie. Cette récompense intervient d’ailleurs au lendemain des quinze ans de l’assassinat d’Anna Politkovskaïa, un crime désormais prescrit par la justice. Le lauréat a dédié son prix à son journal et à ses collègues assassinés dans le cadre de leur travail.
« Ce n’est pas mon mérite personnel. C’est celui de Novaïa Gazeta. C’est celui de ceux qui sont morts en défendant le droit des gens à la liberté d’expression », a-t-il déclaré, cité par l’agence de presse publique TASS.
Peu avant, le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov, a félicité le journaliste du principal journal d’opposition de Russie.
« Nous pouvons féliciter Dmitri Muratov. Il travaille en continu en suivant ses idéaux, en les conservant. Il est talentueux et courageux », a-t-il déclaré.
Ce prix Nobel intervient alors que la répression visant les médias indépendants et les ONG critiques du Kremlin s’est accrue.
« Ce prix est un immense honneur et un soutien pour nous, a réagi la journaliste d’investigation Elena Kostyuchenko de Novaïa Gazeta.
Pour moi personnellement, ce prix veut dire très concrètement qu’il court moins de risques d’être tué, et j’espère que mes collègues au journal vont avoir peut-être un peu moins peur. Parce que ce prix est bien sûr un énorme soutien pour nous tous, un énorme honneur et j’espère aussi une protection.
Le régime Duterte sous les projecteurs
Quant à Maria Ressa, 58 ans, avec sa plateforme numérique de journalisme d’investigation Rappler cofondée en 2012, « elle utilise la liberté d’expression pour exposer les abus de pouvoir et l’autoritarisme croissant dans son pays natal, les Philippines », dirigé par Rodrigo Duterte, a salué le comité Nobel. Rappler a notamment braqué les projecteurs sur « la campagne antidrogue controversée et meurtrière du régime Duterte ».
« Tais-toi ou tu seras la prochaine » Maria Ressa est une habituée de ce genre de menaces. La journaliste est la bête noire du pouvoir philippin. Elle ne compte d’ailleurs plus ses arrestations ni ses condamnations.
Dans une interview avec RFI, en mai dernier, elle mettait en garde contre les dangers que la pandémie de coronavirus fait peser sur les libertés citoyennes.
“Nous devons faire en sorte que le virus ne contamine pas la démocratie. Ce que nous avons vu aux Philippines, c’est que le gouvernement a profité de la pandémie pour consolider son pouvoir”.
Dans son dernier rapport, l’ONG Reporters sans frontières (RSF) indiquait que l’exercice du journalisme est « gravement entravé » dans 73 des 180 États référencés dans son classement et « restreint » dans 59 autres.
Une contribution « aux bienfaits de l’humanité » récompensée en monnaie sonnante et trébuchante
Cette année les lauréats de chaque prix Nobel gagnent 10 millions de couronnes suédoises (environ 990 000 euros).
Si plusieurs personnes remportent le même prix, alors elles se partageront la somme. Le but de ce chèque est de permettre aux gagnants de continuer leurs travaux de recherche sans avoir à se soucier des problèmes financiers.
La fortune d’Albert Nobel
L’argent est versé par la fondation Nobel qui gère l’héritage du Suédois Alfred Nobel, l’inventeur de la dynamite. N’ayant pas eu d’héritiers, cet industriel suédois a demandé qu’après sa mort sa fortune serve à récompenser chaque année les personnes qui ont « rendu des grands services à l’humanité ».
Aujourd’hui, la valeur de la fortune dépasse les 490 millions d’euros. Ce sont les revenus de ce capital qui permettent de récompenser les lauréats.
Quant à lui, le capital est investi sur différents secteurs économiques par la fondation. Cette dernière a décidé de verdir son portefeuille. Elle a annoncé en juillet avoir vendu ses participations liées au secteur pétrolier après s’être également retirée de l’industrie du charbon.
Avec rfi.fr