Des femmes soupçonnées sorcières à Kalonge au Sud-Kivu obligées de passer un test de sorcellerie appelé « Cinyama ». Une pratique qui stigmatise des femmes présumées sorcières dans la communauté et certaines arrivent à changer de milieu pour fuir des représailles.

«Cinyama», est un système mis en place par certains Chefs et guérisseurs traditionnels dans plusieurs villages de Kalonge territoire de Kalehe en province du Sud-Kivu. Il consiste à tester les personnes accusées de sorcellerie par la communauté et dont les femmes sont les plus concernées.

Ce test coutumier appelé « Cinyama » ou « Kabi » par les membres des communautés, consiste également à bouillir de l’eau jusqu’à 100° et y introduire la main (généralement droite) de la personne soupçonnée d’avoir trempé dans la pratique de sorcellerie.

Selon le groupe d’alertes précoces, (GAP), mis en place par l’Association des Femmes des Médias, AFEM, dans le groupement de Kalonge, si la main de la cible résiste au test et sort intacte c’est-à-dire qu’elle n’est pas sorcière et au cas où la main sortait brûlée, elle est proclamée sorcière et exposée aux actions des gardiens de la tradition ou pourchassée par les jeunes du milieu.

« Au cas où la femme accusée de sorcière a peur de passer ce test Cinyama et arrive à payer 3 à 5 chèvres, elle échappe à la règle. Cinq villages de Kalonge à savoir Rambo, Cifunzi, Fendula, Mule et Caminunu sont concernés par cette pratique. Les femmes qui habitent les sous villages de Bushahi, Lushenyi, Mushadu, Misinga, Bumoga, Kashesha sont moins touchées par le test » a dit Jean-Baptiste Shasha, point focal du groupe d’alerte précoce à Kalonge.

« Un matin j’ai vu un groupe de jeunes venir chez moi avant même que je me rende au champ, ils m’ont dit qu’ils sont envoyés par les sages du village pour une question de vérification. Après c’était chez un guérisseur traditionnel. Arriver la bas on me dira que j’ai étais accusé par les membres de ma belle famille d’être à l’origine de la mort tragique d’un jeune garçon du milieu. J’ai été forcée de passer au test et ma main a été malheureusement brûlée», explique avec amertume Mme Perle (nom d’emprunt) du village Colobera.

Pour échapper à la colère des membres de la communauté, Perle a pris refuge chez un notable et chef de la grande famille à Colobera.

Même scénario pour Kirere (nom d’emprunt) qui s’était vu cité par une dame de son village qui était entrain d’être brûlée vif par les membres des communautés, après avoir été accusée de sorcière. M’Kere s’est cherché l’exil pour fuir le reste Chinyama et fuir la colère de la population qui a entendue son nom cité dans le dossier de sorcellerie.

Contacté à ce sujet Mirindi Hamuli Dieudonné, chef coutumier du village Rambo, s’est retenu de lâcher un mot sur ce sujet.

Par ailleurs, dans son rapport du mois de décembre, l’Association des Femmes des Médias fait savoir que les femmes dont l’âge varie entre 40 et 80 ans sont les principales victimes de ce phénomène.

Depuis le début de l’année 2021 jusqu’en octobre de la même année, le rapport de l’Association des Femmes des Médias (AFEM) renseigne avoir documenté dans le seul groupement de Kalonge 204 cas des femmes accusées sorcières.

« Ces cas sont généralement occasionnés par les guérisseurs traditionnels, certains propriétaires des chambres de prière et même des Chefs coutumiers. Dans la seule journée du lundi 06 décembre 2021, deux femmes du village de Cifunzi ont été obligées par leur Chef du sous village d’aller passer le test Cinyama à Fendula après avoir été accusées des sorcières », lit-on dans ce rapport.

Plusieurs organisations de défense des droits humains déplorent la persistance de ce système de soumettre les femmes au test de sorcellerie qui n’a aucun fondement légal.

C’est le cas du Caucus des Femmes du Sud-Kivu pour la paix qui déplore la lenteur des autorités compétentes pour sanctionner les auteurs de ce phénomène dans cette partie de la province du Sud-Kivu.

«C’est vraiment déplorable de constater qu’il n’y a pas des avancées depuis que nous avions dénoncé ce système de test de sorcellerie qu’on exige aux femmes et jeunes filles dans le territoire de Kalehe. Moi personnellement je ne comprends pas pourquoi le gouvernement tarde à agir pour sauver ces femmes, ces êtres humains qui sont en danger au niveau de Kalonge», regrette Solange Lwashiga.

Cette situation s’aggrave malgré l’existence de l’édit portant interdiction de la justice populaire et des mécanismes de protection des femmes victimes d’accusation de sorcellerie.

Kindja Mwendanga Béatrice, députée provinciale et commissaire du genre famille et enfant au Sud-Kivu compte sur la mise en œuvre effective de cet édit pour soulager les souffrances dont sont victimes des femmes dans plusieurs territoires de la province et particulièrement celles de Kalehe et Walungu. L’élue de la ville de Bukavu compte sur la volonté du gouvernement tant national que provincial pour condamner tous ceux qui seraient même derrière ce test de sorcellerie dit Cinyama, lequel frise l’épanouissement des femmes dans le territoire de Kalehe.

Parmi les conséquences du côté des victimes, on signale le rejet social, la stigmatisation, la rupture familiale, la torture physique qui conduit souvent à la mort, la destruction familiale, la déconsidération sociale, la présence des enfants de la rue suite aux ruptures familiales.

De son côté, Jacqueline Ngengele, cheffe de division du genre, de la famille et de l’enfant fait savoir que les autorités provinciales organisent des descentes de suivis dans le territoire de Kalehe pour analyser cette problématique et trouver des solutions idoines quant à ce. Néanmoins, cette autorité provinciale laisse entendre que le gouvernement est soucieux de protéger tous ces citoyens y compris les femmes.

En matière de droit, l’auteur des accusations de sorcellerie est puni conformément aux différents articles prévus par les législateurs.

«Il n’existe aucune peine réservée à l’accusé de sorcellerie et donc ceux qui accusent les autres s’exposent à la rigueur de l’article 74 du code pénal qui parle des imputations dommageables. Cet article parle même que l’auteur peut être puni de 8 jours à 1 an de prison ferme suivis des amandes. En ce qui concerne les tests de sorcellerie, en droit on les classe parmi les épreuves et pratiques barbares et les auteurs peuvent être punis conformément aux articles 57, 58, 59 et 60 du code pénal congolais. Et si nous nous référons à l’article 57, l’auteur doit être sanctionné de 2 mois à 2 ans de prison et d’une amende de 25 à 200 Zaïre en équivalent en franc congolais », fait savoir Me Pascal Mupenda, Avocat au Barreau de Bukavu et Directeur Exécutif de l’organisation de défense des droits humains Partenariat pour la Protection Intégrée (PPI).

Pour rappel, lors de la conférence tenue par AFEM au mois de janvier 2022 sur la lutte contre les accusations de sorcellerie dont sont victimes les femmes, les autorités provinciales et services de sécurité ont signés l’engagement de prendre des mesures afin de sécuriser les victimes des accusations de sorcellerie et sensibiliser les couches sociales au respect des droits humains.

Ces derniers ont promis même d’arrêter les présumés auteurs des enlèvements liés aux accusations de sorcellerie et de fermer les chambres des prières et maisons d’invocation qui influencent ce phénomène.

Patrick MAKIRO

Cet article a été produit en collaboration avec Journalistes pour les droits humains, JDH/JHR-RDC avec l’appui d’Affaires mondiales Canada.

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